Malgré les avancées médicales, les campagnes de sensibilisation et les nombreux témoignages rendus publics ces dernières années, les troubles psychiques restent encore largement tabous dans nos sociétés. Qu’il s’agisse de dépression, de bipolarité, d’anxiété chronique, de schizophrénie ou d’autres troubles mentaux, le regard social demeure souvent chargé de méfiance, d’incompréhension, voire de rejet. Pourquoi le malaise est-il toujours aussi fort autour de ces questions ? Qu’est-ce qui, dans le regard collectif, empêche encore une approche sereine et humaine de la santé mentale ?
Une histoire longue de marginalisation
Pour comprendre ce tabou, il faut remonter aux racines culturelles du traitement des troubles psychiques. Pendant des siècles, les personnes souffrant de troubles mentaux ont été exclues, internées, parfois considérées comme possédées ou dangereuses. Elles ont été traitées comme des anomalies à cacher ou à corriger, plutôt que comme des personnes à accompagner.
Ces représentations anciennes n’ont pas totalement disparu. Elles ont laissé des traces profondes dans l’imaginaire collectif : la maladie mentale continue d’être perçue comme étrangère, inquiétante, voire honteuse. Ce passé pèse lourdement sur le regard que nous portons aujourd’hui sur les personnes concernées.
La peur de l’inconnu et de l’incontrôlable
L’un des ressorts fondamentaux du tabou autour des troubles psychiques est la peur. Peur de ce qu’on ne comprend pas. Peur de ce qui échappe à la logique, à la raison, au contrôle. Un trouble mental, par sa nature souvent imprévisible ou invisible, déstabilise.
Il remet en question notre vision rationnelle du monde, notre confiance dans la maîtrise de soi, et notre besoin de stabilité. Face à cette angoisse, le réflexe social est souvent de mettre à distance : on évite d’en parler, on banalise, ou au contraire, on dramatise à l’extrême.
L’obsession de la norme
Notre société valorise la normalité, l’efficacité, la productivité. Tout ce qui s’en écarte est rapidement perçu comme suspect ou problématique. Les troubles psychiques, parce qu’ils modifient le comportement, l’émotion, le rapport à soi et aux autres, sont souvent vus comme des écarts à la norme.
Cela crée un sentiment de malaise autour des personnes qui ne « rentrent pas dans les cases ». Le regard social tend à enfermer ces personnes dans des étiquettes : instables, faibles, dangereux, imprévisibles… Des raccourcis qui empêchent toute véritable compréhension.
Le silence dans l’espace public et privé
Même si la parole se libère peu à peu, les troubles psychiques restent peu abordés dans l’espace public. Les médias préfèrent souvent les récits spectaculaires ou extrêmes, ce qui renforce les stéréotypes. Et dans la sphère privée — au sein des familles, des écoles, des entreprises — ces sujets sont encore trop souvent évités ou minimisés.
Le tabou persiste parce que l’on ne crée pas suffisamment d’occasions d’en parler autrement : de manière simple, honnête, nuancée. Ce silence ambiant entretient l’idée que la santé mentale est un sujet à cacher, à éviter, voire à redouter.
Le poids de la honte et de la culpabilité
Les personnes concernées par des troubles psychiques intériorisent souvent le regard social négatif. Elles se sentent honteuses de ne pas aller bien, coupables d’avoir besoin d’aide, ou encore inférieures à celles qui semblent « tenir le coup ».
Cette honte est un mécanisme puissant : elle pousse au silence, à l’isolement, et retarde la demande de soins. Le regard social devient alors un obstacle direct au bien-être et à la guérison.
Un manque persistant de compréhension
Malgré les progrès des neurosciences et de la psychologie, les troubles psychiques restent mal compris par une grande partie de la population. Beaucoup ignorent les causes réelles de ces troubles, leur diversité, leur traitement possible. Ce manque d’information nourrit les idées reçues et empêche l’empathie.
Sans éducation à la santé mentale dès le plus jeune âge, la société continue à percevoir ces troubles comme des anomalies personnelles, plutôt que comme des réalités humaines et médicales.
Le rôle des médias et de la culture populaire
Les médias jouent un rôle crucial dans la formation des représentations sociales. Or, trop souvent, les troubles mentaux y sont caricaturés : le « fou dangereux », le « génie tourmenté », le « dépressif inactif », etc.
Ces images extrêmes et irréalistes alimentent la peur et la distance, plutôt que la compréhension. Elles contribuent à maintenir le tabou, en donnant une image faussée de la réalité de la santé mentale.
Rompre le silence : une responsabilité collective
Pour que le tabou recule, il ne suffit pas que les personnes concernées osent parler. Il faut que la société dans son ensemble soit prête à écouter — vraiment. Cela implique :
- De changer les discours, dans les médias comme dans les institutions
- De former à l’écoute et à l’accompagnement, dans les écoles, les entreprises, les services publics
- De promouvoir des témoignages variés, réalistes et représentatifs
- De reconnaître la diversité des parcours en santé mentale
- De valoriser la parole et la résilience plutôt que la peur et le silence
Faire tomber le tabou, c’est ouvrir la voie à la guérison
Le tabou autour des troubles psychiques n’est pas une fatalité. Il résulte de peurs anciennes, de représentations erronées, de silences prolongés. Mais il peut être déconstruit, pas à pas, par la connaissance, la parole, l’écoute, et surtout par un changement de regard.
Mettre fin au tabou, ce n’est pas seulement mieux comprendre les autres. C’est aussi se donner les moyens de vivre dans une société plus juste, plus solidaire, et plus humaine — où chacun, quelle que soit sa fragilité, peut trouver sa place sans avoir à se cacher.
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